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Vie de chaptal HISTORIQUE DU LYCÉE CHAPTAL

L’établissement CHAPTAL

La notice historique qui suit du Lycée/Collège CHAPTAL emprunte aux historiens de l’établissement : MM COUTANT et DUPLAN, inspecteurs généraux qui firent paraître chacun une étude en 1889 et en 1891, à l’académicien M. E. LEGOUVE, ami et biographe de Prosper Goubaux, fondateur de l’établissement et considéré par beaucoup comme le précurseur de l’enseignement moderne ; à M. BOUCHER, préfet des études lors du Cinquantenaire, ainsi qu’à des historiens de l’architecture du XIXème siècle (comme F. NARJOUX) et au dictionnaire des monuments historiques.

Plus près de nous, en vue de la récente inscription de l’établissement dans sa totalité à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (1987), M. GIRVEAU, rapporteur devant la commission de classement, a effectué une étude de synthèse dans laquelle nous avons puisé également sans retenue.

Bien que l’écrivain académicien E. LEGOUVE, son ami et biographe, le qualifie de "bienfaiteur public à qui la France doit une forme nouvelle d’éducation", on cherche en vain le nom de Prosper GOUBAUX dans les dictionnaires et encyclopédies.

Quelques érudits peut-être, spécialistes de l’histoire de l’enseignement, des anciens professeurs ou anciens élèves particulièrement fidèles à leur "bahut", savent encore aujourd’hui qui était le fondateur du lycée CHAPTAL.

Pourtant, cet inconnu ne l’est pas totalement.

-  Tout d’abord, deux bustes à son image perpétuent au lycée même son souvenir.

-  D’autre part, la salle la plus prestigieuse de l’établissement (l’ancienne salle de dessin, devenue salle de réunion) porte son nom depuis peu (1993), grâce à la piété et à la générosité des anciens élèves qui ont fait apposer sur chacune des deux portes d’accès une plaque en cuivre et une courte notice biographique.

-  Enfin, à deux cents mètres à peine du lycée (devant le métro Villiers), une place porte le nom de Prosper Goubaux.

Considéré par ses contemporains comme l’un des précurseurs d’un enseignement moderne donnant enfin leur place aux sciences et aux techniques (et non plus aux seules humanités), idées consacrées peu après par les lois de Jules Ferry, Prosper Goubaux mérite donc, à l’occasion du cent-cinquantenaire du lycée CHAPTAL, que soit évoquée sa mémoire.

Il était instituteur et n’avait pas 25 ans lorsqu’il fonda avec un associé qui apportait les fonds une institution dénommée Saint-Victor (en attendant que, peu après, un autre partenaire disparaisse avec d’autres fonds, en sorte que Prosper Goubaux recherchera toute sa vie, souvent de façon pathétique, comment régler des créanciers).

L’Institution Saint-Victor était située sur un îlot délimité par la rue Blanche et la rue de Clichy.

Elle devient très vite (1844) l’école François-Ier, puis le Collège municipal CHAPTAL (1848) lorsque, perclus de dettes mais fort du succès de son école, c’est-à-dire de ses idées, Prosper Goubaux obtient de la Ville de Paris qu’elle se substitue à lui dans l’administration de son établissement.

Pour arriver à cela, il a demandé à la ville de créer "un collège français offrant aux jeunes gens qui se destinent au commerce et à l’industrie avec des études plus spéciales, mieux appropriées que celles des lycées à leur future carrière, une éducation propre à élever les coeurs et les esprits".

Bien nouvelle, en effet, était à cette date la conception de Goubaux.

"Ce qui le frappait avant tout, raconte M. Legouvé, c’était le désaccord entre l’enseignement de l’Etat et l’esprit de la société moderne. D’un côté, il voyait le monde tendre de plus en plus vers l’industrie, le commerce, l’agriculture, les sciences appliquées ; il entendait beaucoup de pères désirer pour leurs enfants une profession industrielle et réclamer à cet effet des études spéciales ; et, en même temps, il remarquait que l’éducation universitaire ne répondait en rien à ce besoin ; la littérature en était le seul objet ; il n’y avait pas d’enseignement professionnel. Cette anomalie choquait l’esprit essentiellement moderne de Goubaux, cette lacune le tourmentait ; il sentait là une création à faire ; mais comment y parvenir ? L’Université ne s’élèverait-elle pas contre cette innovation ? Le Ministère de l’Instruction publique la permettrait-il ? Ni M. Simon, ni M. Duruy n’étaient ministres alors, et M. Villemain, le ministre en exercice, avait expressément déclaré : "Un collège français en France, jamais !" De plus, n’entendait-on pas déjà de toutes parts les protestations d’une foule d’esprits éminents et sérieux, qui disaient qu’ôter aux études cette base solide et morale de l’éducation classique, c’était décapiter les intelligences, matérialiser notre siècle et faire de l’argent à gagner le seul but de la vie ? Goubaux leur répondait : "Pourquoi cette éducation serait-elle moins propre que l’autre à élever les coeurs et les esprits ? Tout ce qu’il y a d’exemples héroïques, de leçons de patriotisme, de modèles de force d’âme, est-il donc renfermé dans les oeuvres grecques et latines ? Tout ce que la poésie répand d’idéal dans la vie et dans l’âme se trouve-t-il donc contenu et comme emprisonné dans les poèmes de Virgile et d’Homère ? Le monde de la science que nous voulons ouvrir aux jeunes esprits, ce monde qui n’est rien moins que le ciel et la terre tout entière, ne vaut-il pas bien, comme moyen d’éducation, l’étude de quelques discours de Tite-Live ou de Tacite ? La contemplation intelligente de toutes les grandeurs de la création et de toutes les conquêtes de la créature apprendra-t-elle moins bien aux jeunes gens à connaître Dieu et à devenir hommes, que l’interprétation souvent incertaine des restes d’une langue morte et d’un peuple évanoui ? Enfin, l’étude de la France ne mérite-t-elle pas de figurer au premier rang dans notre éducation publique ? N’y aura-t-il donc pas de collèges français en France ?"

Substituer pour la formation de l’esprit et du coeur la langue et la littérature françaises aux langues et aux littératures anciennes, préconiser la culture scientifique et l’appropriation de l’enseignement aux nécessités et aux besoins de la société contemporaine, n’était-ce pas instituer en quelque sorte l’enseignement moderne ? Et qu’on ne croie pas que Goubaux ait méconnu l’importance des langues vivantes : dès 1855, il y avait au collège Chaptal, avec des cours d’anglais et d’allemand, cours classiques et commençant dès l’année préparatoire, des leçons de langue italienne et espagnole pour les élèves des classes supérieures.

Des locaux situés rue Blanche où le collège CHAPTAL vécut ses 30 premières années, il ne reste rien puisque l’année même (1874) où la première rentrée a lieu dans le collège neuf du boulevard des Batignolles, les anciens locaux sont livrés à la pioche des démolisseurs. C’est maintenant le Casino de Paris ( !) qui occupe rue Blanche le terrain ainsi libéré.

Nous savons des bâtiments du "vieux collège" qu’ils étaient disparates, de plan irrégulier et surtout très insuffisants en surface au bout de 30 ans, du fait du succès du collège et de l’augmentation de ses effectifs, et ce, malgré des acquisitions et locations d’appoint rue Pigalle et rue de Clichy.

Saluons quand même de deux paragraphes en cette année du Cent-cinquantenaire le souvenir du "vieux collège". M. BOUCHER, préfet des études en 1894, nous apprend que tous les bâtiments, certes, ne méritaient pas l’admiration puisqu’il mentionne "l’escalier casse-cou menant au cabinet redouté du surveillant général", une cuisine, des dépendances "mal partagées" et un unique réfectoire où se pressaient (déjà !) dans un minimum de temps (comme c’est étrange !!) les 600 élèves du moyen et du grand collège et, pour tout équipement d’E.P.S., "un modeste portique et quelques appareils de plein-air vermoulus par le temps".

En revanche, "la classe de première année et la bibliothèque, installées dans un fort joli salon de style pompéien, ouvraient toutes deux leurs larges baies sur un délicieux jardin anglais, aux allées ombragées par des arbres centenaires, alors qu’au centre du jardin un bassin faisait jaillir ses eaux murmurantes auprès d’une volière dont les hôtes familiers venaient prendre leur nourriture dans la main des élèves..."

Les lieux, comme les hommes, meurent aussi...Ceux-ci ont dû inspirer bien des nostalgies.

A 30 ans, le collège Chaptal déménage. Son conseil d’administration (dans sa séance du 10 Juillet 1863 à l’Hôtel de Ville) se prononce à l’unanimité en faveur des "jardins spacieux" (de 13.500 m2) délimités par le boulevard des Batignolles au nord, la rue de Rome récemment ouverte, la rue de Bernouilli et la rue Andrieux, de préférence à un terrain également envisagé par la ville, situé au coin du boulevard Malheserbes et de l’avenue de Neuilly.

Le projet primitif augmentait de 3.000 m2 cette superficie, car il y ajoutait un îlot compris entre la rue de Bernouilli et la rue de Copenhague. On imagine avec regret combien la physionomie, le climat et l’histoire de Chaptal en auraient été modifiés puisque cet îlot devait donner à l’établissement les cours et le parc qui lui manquent autant que jamais aujourd’hui avec ses quelque 2.000 élèves.

C’est l’architecte Eugène Train (1832-1930) qui est choisi pour établir le projet. Il est invité à respecter scrupuleusement un programme établi par la ville, maître d’ouvrage, programme qui préfigure le règlement de construction des "maisons d’école" instauré par Jules Ferry en 1880.

Eugène Train s’est surtout illustré dans la construction des bâtiments scolaires. Outre le collège CHAPTAL, on lui doit notamment le lycée Voltaire, bon nombre d’écoles parisiennes ainsi que les autels des églises Saint-Augustin, la Madeleine, Passy...

Train réalise un ensemble monumental où sont soignés l’organisation générale et les plus infimes détails. Le plan réutilise la division en trois collèges de l’école François-Ier (-grand, moyen et petit collège-) chacun organisé autour d’une cour. Chacune des divisions a son fonctionnement propre et ses entrées distinctes boulevard des Batignolles, rue de Rome, rue Andrieux, mais elles sont reliées aux services commmuns (gymnase, réfectoire, amphis de physique et chimie...) par des galeries couvertes.

La façade sur le boulevard des Batignolles renferme les locaux de l’administration. Chaque collège possède ses salles de classe, ses salles d’études et son (ou ses) amphithéâtre(s). Les parties communes -réfectoires, salle de dessin- sont au centre de la composition. Le parti de plan est simple et adapté à la vie scolaire. Train est attentif à la qualité de l’architecture, mais aussi à celle de l’hygiène et de la commodité (chauffage par 10 calorifères, ventilation, alimentation d’eau par réservoirs, éclairage au gaz dans tout l’établissement, etc.).

Les travaux, commencés en 1866, sont interrompus par la guerre de 1870, reprennent en 1871 et sont achevés en 1876.

Les commentaires des revues d’architecture (Revue générale d’architecture de C. Daly, Le Moniteur des Architectes) relatifs au collège Chaptal sont nombreux et élogieux. Le monument est attractif, soigné, bien conçu ; enfin, qualité non négligeable, il a été très peu coûteux (583 francs le m2).

"Le style général de la façade, boulevard des Batignolles, est une libre interprétation de l’art roman et de la Renaissance. Cette façade, de plus de 100 mètres de long, est flanquée de tours carrées et rythmée par un avant-corps colossal à cinq travées. Les angles et le centre des façades sont marqués par des pavillons dont les toits sont en pyramide tronquée avec lanternon.

La décoration est variée : brique utilisée pour des jeux géométriques polychromes, corniche en dents de scie, chéneaux ajourés en terre cuite, tirants de fer ouvragés. Des reliefs sculptés célèbrent le Commerce, l’Industrie, les Sciences et l’Art. Un buste d’Athéna, mère de ces activités, couronne le fronton du portail.

Cette architecture ne marque pas une rupture totale avec les lycées-casernes, mais on s’accorde à reconnaître qu’Eugène Train a eu le souci de produire une architecture "aimable" : la grande variété des élévations, la polychromie des matériaux en font un lycée moderne. Il s’inscrit dans cet ensemble de bâtiments scolaires qui matérialisent le grand élan pour l’instruction publique concrétisé par les lois de Jules Ferry."

Le nouveau collège est prévu pour accueillir 1.000 élèves : il en compte 1.300 en 1877, 1.400 en 1874, 1.500 en 1900, 1.900 dans les années 1980. Cette progression est rendue possible par le recul de l’internat et la transformation des dortoirs en salles de classe. En 1881, -signe des temps-, on a transféré la bibliothèque dans la chapelle.

Dans les années 1885, on construit, sur la rue Andrieux, un grand gymnase. Le collège Chaptal ne subira jusqu’à nos jours que très peu de modifications. Une exception de taille cependant, la chapelle a été remplaçée par un local de béton abritant notamment les centres de documentation et d’information et un second gymnase en sous-sol. De plus, le corps du bâtiment abritant la salle de dessin a été surélevé d’un étage pour créer des dortoirs.

A l’origine de l’enseignement scientifique en France, avec l’aide de prestigieux anciens élèves depuis Alexandre Dumas fils jusqu’à Patrick Baudry (et Jean-Louis Barrault que l’actualité de ce début 1994 désigne au souvenir), fondé par un brillant pédagogue, l’histoire du lycée Chaptal est donc aussi originale et personnelle au plan de l’enseignement (du moins à l’origine, car les structures pédagogiques se sont fondées par la suite dans le moule national, tout en conservant leur orientation scientifique initiale) qu’à celui de l’architecture.

Nul doute que le collège CHAPTAL, devenu lycée en 1950 et qui a acquis depuis longtemps une forte réputation, continuera à fournir les cadres de l’industrie, du commerce, de l’agronomie, bien des esprits éminents dans d’autres domaines, ainsi que, grâce à l’adjonction toute récente (1993) d’une filière littéraire, d’autres écrivains, poètes ou artistes que l’enseignement scientifique de Prosper GOUBAUX n’avait déjà pas empêché d’éclore.

Il est en tout cas aussi vivant que jamais et possède les meilleures chances de poursuivre brillamment son histoire.

Yves Le Baron, Intendant au lycée CHAPTAL de septembre 1990 à septembre 1998.